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« Quand Paris se tire une balle dans le pied »

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L'idée forte initiale de Bruno Le Maire était de « faire bouger les lignes » du droit de la concurrence de l'UE qui, pour lui et les dirigeants français, empêchait les interprofessions de jouer pleinement leur rôle et d'exercer leur pouvoir dans le passé, mais plus encore dans l'avenir. Certains imaginaient ainsi que pour remplacer les quotas après 2014, le Cniel pourrait maîtriser, voire décider de l'offre laitière française et des prix du lait, le tout mettant en place, pour le ministre, une contractualisation obligatoire entre les producteurs et les transformateurs.

Or, pour les interprofessions, le paquet lait n'apporte rien vis-à-vis de ce droit de la concurrence. Au contraire, le règlement rappelle qu'« il convient de veiller à ce les interprofessions n'entraînent aucune distorsion de concurrence ou de marché intérieur et à ce qu'elles ne portent pas préjudice au bon fonctionnement de l'Organisation commune des marchés (OCM) ». Cette OCM, déjà très libérale, le sera encore plus dans la future Pac. Le paquet lait impose un contrôle des interprofessions par la Commission, et donc de sa redoutable Direction générale de la concurrence, alors que jusqu'à présent, la Direction générale de l'agriculture laissait vivre tranquillement les interprofessions françaises.

Or, cette contractualisation entraîne de nombreuses confusions et tensions entre producteurs et industriels privés. Pour les coopératives, c'est simple : le paquet lait ne s'applique pas (soit 80 % du lait dans les pays du nord de l'Union européenne). Ceci permet le foisonnement d'idées de technocrates avec le lait A, B et C sans garantie sérieuse d'étanchéité. Le signal aux coopérateurs est très clair : en cas de difficultés dues à la conjoncture et/ ou une mauvaise gestion, la coopérative continuera d'acheter tout le lait de ses adhérents, à condition de pouvoir en fixer le prix… à la baisse. Les laits A, B et C restent, à Bruxelles et dans l'Europe laitière, une grande « curiosité » française.

La France sera sans doute le seul grand pays laitier à rendre obligatoire la contractualisation vis-à-vis de son secteur privé. Rien de tel en Allemagne. Idem dans les pays nordiques où la coopération est en situation monopolistique. La France laitière n'a pas de « tradition » d'organisations de producteurs (OP) face aux privés. La « régulation-négociation professionnelle » se faisait via le Cniel et les Criel. Les OP vont accentuer les conflits tensions avec les entreprises, les coopératives restant en dehors. D'un côté, le paquet lait de l'UE décret lait français rend obligatoire une contractualisation avec ses contraintes aux privés. De l'autre côté, le paquet lait laisse dans les faits les coopérateurs désarmés vis-à-vis de leurs coopératives, d'autant qu'ils ne peuvent pas adhérer aux OP. Cette dualité française privé-coopérative risque de finir par affaiblir le secteur laitier vis-à-vis de ses concurrents plus compétitifs.

JEAN-PIERRE CARLIER, AGRO-ECONOMISTE

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